Résumé : Récemment, le Conseil d’État a élargi le champ d’application matériel du permis de construire modificatif délivré en cours d’instance. Venant s’aligner sur la jurisprudence en matière de régularisation à l’initiative du juge (article L.600-5-1 du code de l’urbanisme), il est désormais constant que les modifications apportées dans le cadre d’un permis de construire modificatif ne doivent pas bouleverser la nature même du projet.

En matière de contentieux de permis de construire, il n’est pas rare qu’un pétitionnaire sollicite, en cours d’instance, la délivrance d’un permis de construire modificatif, soit pour apporter des précisions à son dossier sans en changer la teneur, soit pour y apporter quelques modifications.

Bien entendu, un permis de construire modificatif peut également être délivré en l’absence de recours à l’encontre du permis de construire initial, si le pétitionnaire a changé d’avis sur certains points de son projet.

Il s’agit d’une procédure avantageuse, dans la mesure où seules les pièces modifiées doivent effectivement être jointes au dossier de demande, certains services n’ayant en outre pas besoin d’être de nouveau sollicités lors de l’instruction.

Se pose néanmoins la question de savoir jusqu’où peuvent porter les modifications apportées à un projet dans le cadre d’un permis de construire modificatif, ce que vient préciser l’arrêt commenté, rendu par le Conseil d’État le 26 juillet dernier (requête n°437765).

Cet arrêt fait partie d’un courant jurisprudentiel récent concernant la régularisation des autorisations d’urbanisme, qui avait en partie été commenté par le blog ici.

Dans son arrêt du 26 juillet 2022 évoqué ci-dessus, le Conseil d’État juge ainsi :

« 7. En premier lieu, l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. »

Cet arrêt revêt un grand intérêt pratique, en ce qu’il vient assouplir la jurisprudence existante en la matière (1), et s’aligner au courant jurisprudentiel relatif aux pouvoirs de régularisation des juges (2).

1. Un champ d’application matériel plus vaste du permis de construire modificatif

Antérieurement à l’arrêt commenté, un permis de construire modificatif pouvait être délivré, selon le juge administratif, à la double condition du non-achèvement des travaux, et sans que les modifications apportées au projet ne remettent en cause sa conception générale (Conseil d’État, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, requête n°374338).

Si la deuxième condition n’était pas remplie, le pétitionnaire se devait de déposer un nouveau permis de construire, ce qui suppose, outre le dépôt de l’ensemble des pièces prévues aux articles R.431-5 et suivants du code de l’urbanisme, la saisine de l’ensemble des services compétents (voirie, réseaux, ou encore, le cas échéant, l’architecte des bâtiments de France).

Ainsi, dans l’hypothèse d’un contentieux, une requalification par le juge d’un permis de construire modificatif en nouveau permis pouvait le conduire à son annulation, faute pour le dossier de demande de comporter l’ensemble des pièces exigibles.

Bien que déjà assez large, ce champ d’application pouvait néanmoins atteindre ses limites, notamment en cas d’augmentation significative de la surface de plancher, ou de modifications architecturales importantes.

Le Conseil d’État, en substituant la condition de l’absence de remise en cause de la conception générale du projet à celle de l’absence de bouleversement venant en changer la nature vient cependant agrandir encore le champ de possibilité de délivrance des permis de construire modificatifs.

À titre d’exemple, et pour la Cour administrative d’appel de Versailles, s’agissant d’un projet composé à 85% de surface de plancher à destination de bureau, et les 15% restants à destination de commerce, un permis de construire modificatif qui viendrait substituer la surface commerciale en surface de bureau, s’il peut remettre en cause la conception générale du projet, ne vient pas en bouleverser sa nature même (passage d’un bâtiment à destination principale de bureaux à un bâtiment à destination unique de bureaux) (Cour administrative d’appel de Versailles, 28 janvier 2022, requête n°19VE04278).

2. Un alignement à la jurisprudence relative à la régularisation des projets à l’initiative du juge

Cette notion de modification de la nature même du projet n’est pas nouvelle puisqu’elle avait été introduite par le Conseil d’État dans son avis du 2 octobre 2020 (avis n°438318).

Pour mémoire, en application des articles L.600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme, le juge administratif, s’il relève l’existence d’un vice grevant un permis de construire, doit :

  • Si le vice ne concerne qu’une partie identifiable du projet, prononcer une simple annulation partielle (article L.600-5) ;
  • Si le vice n’est pas clairement divisible, surseoir à statuer le temps pour le pétitionnaire de présenter un permis de construire de régularisation (article L.600-5-1).

La Haute Juridiction avait ainsi considéré que dans l’hypothèse de mise en œuvre, par le juge, des pouvoirs qu’il tient de ces articles, le permis de construire de régularisation pouvait bouleverser l’économie générale du projet, à condition de ne pas remettre en cause sa nature.

Jusqu’alors, cela permettait d’effectuer une distinction entre permis de construire modificatif et permis de régularisation (lequel pouvait tout aussi bien, en l’absence de précision dans le texte, être un nouveau permis).

Cette distinction est désormais enterrée par la jurisprudence, ce qui laisse encore plus de libertés aux pétitionnaires dans les possibilités de régularisation de leurs projets.

Cette jurisprudence s’inscrit ainsi dans le courant actuel tant législatif que jurisprudentiel destiné à protéger les porteurs de projets, afin de leur permettre de se prémunir en cas de recours de tiers, toujours plus nombreux.

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